Bonjour !

Je suis écrivain et scénariste de BD.
Mon premier livre est sorti en 2009. Depuis, j'en ai sorti 22 autres... Je travaille aussi pour le ciné, la télé, le jeu vidéo, les applications et même le jeu de plateau.
Car pour toutes ces créations, il y a besoin d'écrire. Donc j'écris. Depuis le temps que j'en rêvais !

Et pourtant bien souvent je l'entends, cette question étrange : "Et sinon, vous avez un vrai métier ?".
Elle me fait un drôle d'effet et je n'ai pas encore trouvé comment y répondre... Alors ce blog va servir à ça : à essayer d'expliquer que oui, écrivain et scénariste, c'est un métier, un vrai.

jeudi 25 décembre 2014

Au ban(c) de la société

Grosse affaire en ce 24 décembre, à Angoulême !
Les bancs de la place du Champ de Mars ont été mis en cage...

On aurait pu les enlever, ces bancs, et le faire à une autre période, ça aurait sans doute fait un peu moins le buzz. Mais non. 
On a choisi d'assumer sa position en  faisant poser ces grillages la semaine de Noël. 
J'ai malheureusement l'impression que le calcul n'est pas mauvais car il me semble que les voix qui s'élèvent contre les grilles ont moins de poids électoral que ceux qui les approuvent.
Mais peut-être que je me trompe; j'espère que je me trompe.

Les bancs sont en cage place du Champ de Mars !

Un objectif : décourager les marginaux qui passent là leurs journées avec leurs chiens et leurs bouteilles.

Bien. C'est assez classique pour une municipalité (de quelque bord soit-elle) de tenter des choses pour éloigner la marginalité, la misère, la différence, de son centre ville.
On pourrait multiplier les exemples :














C'est ainsi. 
Ce qu'on veut, ici, c'est vivre entre soi. Ce qu'on veut, ici, c'est faire du commerce et des affaires dans une ville propre et nette.
Ce qu'on veut, c'est qu'aucun de ces marginaux, souvent avinés, parfois violents, avec des chiens qui font peur, une façon d'être qui terrorise, une manière de vivre qui horrifie, ne vienne souiller le centre de nos villes.

C'est que l'étrange étranger, le miséreux ou simplement le pauvre, le marginal, le différent, n'ont rien à y faire ! 

Et puisque la police n'a pas de véritables moyens pour les mettre dehors, empêchons-les donc de s'asseoir, ils iront ailleurs. N'importe où. Le but n'est pas de trouver une solution au problème, c'est de le déplacer.

Déplacer l'autre. 
Il existe pas mal de moyens pour ça : on peut déporter, mettre dans des camps, mettre au ban, cantonner dans des ghettos, exproprier, expulser, chasser, emprisonner, assassiner. Mais ces solutions ont tendance, de nos jours à être considérées comme un peu trop extrêmes...

On en utilise donc d'autres. Plus pernicieuses. Toutes presque aussi violentes pourtant.
Car empêcher le SDF, ou le Marginal, ou le Vagabond, ou le Pauvre, ou le Voyageur, ou l’Étranger, ou l'Autre de venir dans les centres-ville, c'est lui interdire de tenter d'assurer un minimum sa subsistance, l'empêcher de s'insérer dans la société, lui dénier le droit de vivre. 
C'est lui interdire le droit à la différence, cette différence si importante pour nous faire réfléchir, évoluer, avancer. Cette différence qui fait de l'être humain un être unique et singulier.

Et d'ailleurs, où commence-t-elle, cette différence ? 
Et où s'arrête-t-elle, l'uniformité que désirent tant les centres-villes ?

Nul ne peut répondre à ces questions. Car les réponses varient sans cesse, au gré des évènements, des politiques, des peurs, des modes. L'Histoire a connu bien des périodes ou le pire était permis, accepté, souhaité, espéré. Et commis dans l'assentiment quasi général.

Ça commence par un banc autour duquel on met des grilles. Des petites grilles de rien du tout, comme une prison dérisoire pour mobilier urbain indésirable.

Qui sait comment ça peut continuer ? 
Qui peut imaginer comment ça peut finir ?


vendredi 28 novembre 2014

Marche ou crève...

Voilà à quoi va ressembler la bd de demain, si ça continue :


L'affiche du SNAC BD annonçant la marche des auteurs lors du prochain festival d'Angoulême
Des cases vides, voire plus de cases du tout. Plus de dessins en tous cas, puisque les dessinateurs et les illustrateurs sont les plus menacés car les moins à même de trouver le temps de réaliser des travaux annexes afin d'arrondir les fins de mois.

Comment gagner sa vie ?

En effet aujourd'hui les avances sur droits sont loin de couvrir le temps de réalisation d'une BD ou d'un album illustré. Et comment compter sur des droits d'auteur alors que les chiffres de vente par album baissent sans cesse, que la durée de vie des livres dans les rayons est de plus en plus courte, que le nombre de bouquins distribué gratuitement devient phénoménal et qu'un nombre de plus en plus considérable d'exemplaires passe au pilon ou chez les soldeurs ?

Bref, comment gagner sa vie d'auteur aujourd'hui à l'heure où les avances sur droits et les pourcentages sont à la baisse et où les charges sociales sont à la hausse ?
Que faire pour que ceux qui créent, ceux qui sont à la base de tout dans cette chaine du livre multi milliardaire puissent vivre décemment ?

Hé bien, il semble bien que personne n'ait la solution...

Alors les auteurs de tous les secteurs se mobilisent, et particulièrement ceux de la BD et du livre jeunesse. Action au festival Quai des Bulles à Saint Malo, prise de parole au festival BdBoum de Blois, actions diverses au festival du livre jeunesse de Montreuil, d'autres interventions dans des festivals moins visités et moins prestigieux.
Les auteurs en action au salon du livre jeunesse de Montreuil
Tous ces mouvements sont partis de l'annonce du futur changement de régime de notre retraite complémentaire. On nous a entendu (un peu) et la réforme est suspendue afin de laisser la place à des consultations et à des négociations.
C'est bien. Mais le mal est plus profond que cela. Si vous lisez régulièrement ce blog, vous le savez déjà. Sinon, je vous invite à vous pencher sur quelques uns de mes articles.

Le mal est profond. 

Très profond. Alors c'est toute une population de travailleurs pauvres qui tente de s'unir grâce à ses syndicats (SNAC BD, Charte des auteurs et illustrateurs, etc.). Et ceux qui s'en sortent mieux, et les stars de la profession se rangent à leurs côtés. Nous sommes tous ensemble.
C'est une foule de gens qui aiment leurs métiers (écrivains, scénaristes, dessinateurs, illustrateurs, coloristes...) qui se lève et qui crie sa détresse. 
Ces gens là travaillent. Produisent.
Leur travail rapporte une masse considérable d'argent et il fait vivre pas mal de catégories d'employés*: ceux des imprimeurs, des éditeurs, des diffuseurs, des distributeurs, des transporteurs, des librairies, des bibliothèques, des salons et des festivals, des nombreuses structures d'état ou des territoires qui s'occupent du livre.

Leur travail allume des étoiles dans les yeux des lecteurs (pas toujours, bien sûr, mais ça arrive plus souvent qu'on croit). Leur travail n'est pas si futile. Il fait réfléchir et penser, il permet d'apprendre, il fait grandir...
Leur travail est une richesse culturelle.

*Le livre, première industrie culturelle, c'est 4 milliards d'euros par an et 80.000 emplois

 

Ces gens là ne veulent pas que leur travail disparaisse...

Alors au festival d'Angoulême, pour la grand messe de la BD, ils vont organiser une marche. 
J'espère qu'ils seront nombreux. J'espère qu'ils pourront se faire entendre. J'espère qu'il fera beau ; froid, parce qu'on sera fin janvier, mais avec un franc soleil d'hiver bien agréable.

J'espère qu'on les prendra au sérieux. J'espère qu'on se rendra compte qu'ils sont importants. J'espère qu'on se rendra compte qu'ils sont indispensables. J'espère qu'on trouvera le moyen de les sauver.

Et si cette marche et toutes ces actions n'aboutissent pas, il ne restera plus qu'à écrire le dernier livre, qu'à dessiner la dernière BD, qu'à illustrer le tout dernier album pour les petits : l'histoire drôle et tragique à la fois de ce bûcheron si sûr de lui mais un peu idiot qui scie la branche sur laquelle il est assis.

vendredi 24 octobre 2014

Ecrire ? Une vocation...

"Auteur, ça ne peut pas être un métier, c'est d'abord une vocation." 
(Le grand journal du 21/10/2014)

Celui qui a prononcé cette phrase, c'est Bruno Lemaire, député UMP, ancien ministre et tout et tout, et accessoirement "écrivain". Si vous voulez vraiment tout savoir, c'est ici. 

 
 Pour entendre ce cher Bruno, c'est là. Vous pouvez aller directement à 11 minutes 30, c'est là que ça se passe.  

De plus en plus de gens semblent partager ce point de vue. On entend ce genre de phrase de plus en plus souvent...
Alors oui, être écrivain, ou plus largement auteur (car j'aimerai bien englober dans cette réflexion les dessinateurs de BD, les illustrateurs, les coloristes et les scénaristes), être écrivain, disais-je, c'est bien une vocation. 

Mais il faut bien aussi que ça soit un métier !

Parce que tous les auteurs ne peuvent pas être homme politique et dégager tout le temps qu'il leur faut pour écrire ou, autre solution, se payer des nègres qui feront le boulot à partir de quelques notes hâtivement griffonnées en un après midi dans l'assemblée d'une chambre quelconque.

Hé oui ! Les auteurs ont bizarrement besoin d'au moins deux choses :
- du temps pour écrire
- de l'argent pour vivre

Car écrire ou dessiner ou illustrer ou mettre en couleurs n'est pas une affaire de quelques heures par ci par là. C'est long (même si chacun pourra citer des exemples de grands écrivains très rapides comme Boris Vian, Frédéric Dard, Simenon...). 
Ça demande une disponibilité intellectuelle et physique importante, ça ne peut pas se faire correctement après une journée de travail à l'usine, au bureau ou derrière le comptoir d'un magasin.

Et un auteur a besoin de travailler beaucoup ! Car lorsqu'on sait qu'il touche 4 à 10% du prix de vente hors taxe du livre, on comprend que des livres, il faut en vendre un sacré paquet pour gagner ses 1.500 € bruts par mois ! Il faut donc tenir un certain rythme afin d'avoir quelques titres dans les rayons des libraires.

Mais puisqu'il est dit qu'auteur ne peut pas être un métier, alors il faut que nous revoyions notre système de fonctionnement, notre système de vie.

Changer de vie !

Moi, je vais commencer sans tarder. Je songe très sérieusement à tout changer. Je ne vais plus être l'auteur professionnel que j'essaye d'être (avec bien du mal) depuis quelques années. Je vais devenir un auteur par vocation. Car après tout, cette vocation fait que je continuerai toujours à écrire, même si je ne suis plus professionnel.

Je vais d'abord abandonner mon activité bénévole d'éditeur associatif. Ça prend du temps et ça rapporte rien, donc par les temps qui courent, c'est vite réglé : ça sert à rien, on arrête.

Ensuite, je vais chercher du boulot. 
Bon. 
C'est pas gagné. 
Il n'y a pas beaucoup de travail en ce moment, je ne sais pas si ça va être facile, surtout que dès l'entretien d'embauche, j'ai prévu de poser mes conditions. C'est vrai, quoi, mon futur patron va devoir faire quelques petits efforts :

- Il devra accepter que j'arrive très souvent crevé au boulot parce que j'ai bossé toute la nuit.
- Pour la même raison, il devra me permettre de faire une petite sieste de temps en temps.
- Il devra accepter de me donner pas mal de vendredis et de lundis, surtout en période de lancement des bouquins, parce que les festivals, c'est parfois long et parfois loin. 
- Fin janvier, pour le festival d'Angoulême, en mars pour le salon du livre de Paris, en novembre pour le salon du livre jeunesse de Montreuil, il devra même me donner mon jeudi...

Mais j'espère quand même que je vais le trouver, ce patron compréhensif et ce boulot sympa qui me permettront, ô miracle ! d'assouvir ma vocation tout en payant mon loyer.

Ensuite, on verra. 

J'écrirai sans doute moins puisque j'aurai moins de temps. 
J'espère quand même pouvoir sortir un bouquin par an et demi ou un tous les deux ans. J'imagine que ce rythme lent satisfera les éditeurs et les lecteurs qui ne m'oublieront pas entre deux titres...

J'écrirai peut-être moins bien puisque je pratiquerai moins. 
J'aurai moins de temps pour penser, faire des recherches, faire des plans, écrire des brouillons, relire, corriger, améliorer, peaufiner; tenter de transformer la forme brute d'une histoire, d'une phrase, d'un dialogue en une sorte de diamant...

Mais non ! 
J'oubliais ! Être auteur, c'est une vocation. 
Pas de travail, pas de technique là dedans ! 
Quand on a la vocation, on prend un bout de papier ou un ordi, on écrit ou on tapote le clavier et voilà... 

Je me fais des montagnes d'un rien !
Il est bien certain que supprimer définitivement le métier d'auteur ne mettra pas du tout en danger la qualité de la littérature ! 
Quand on a la vocation, on fait des chefs d’œuvres dans toutes les conditions. 
Et pis c'est tout.




mardi 14 octobre 2014

Quand ça débraye à Quai des Bulles.

Les auteurs de BD sont un peu en colère en ce moment, les lecteurs fidèles de ce blog l'auront compris et quelques autres sont sans doute au courant.

Les auteurs sont en colère et ils s'organisent, ils se fédèrent, ils discutent et ils agissent.

Lors du récent festival BD "Quai des Bulles", à Saint Malo, le SNAC-BD (syndicat national des auteurs et compositeurs, section BD) a organisé un débrayage le samedi en fin d'après midi, afin que les auteurs, mais aussi d'autres acteurs de la BD (éditeurs, diffuseurs, journalistes...) puissent assister à une "conférence".

La salle était bondée, au point que certains n'ont pas pu entrer pour des raisons de sécurité.
Et puis bien sûr, il y a tous ceux qui (comme moi) n'étaient pas à Saint-Malo.

Alors au SNAC-BD, comme ils sont malins, ils ont filmé la réunion.

Ce film, il vous explique avec une grande clarté la problématique. Alors je vous préviens, ça dure une heure, c'est parfois un tout petit peu technique, mais c'est toujours intéressant, toujours clair, toujours précis.

Ce film, il est là, en dessous. Regardez-le si vous voulez savoir pourquoi on n'est pas content...



dimanche 28 septembre 2014

De toutes les couleurs !

Bon mois, ce mois de septembre ! Deux nouveaux bouquins sortis.
Deux commandes typiquement angoumoisines (hé oui, c'est comme ça qu'on appelle les habitants de notre bonne ville d'Angoulême) : "Le Circuit des Remparts", un livre qui mêle BD et photos de l'age d'or du... ...Circuit des Remparts (une course automobile dans les rues d'Angoulême) et "Histoire(s) d'Angoulême, tome 2" qui comme son nom l'indique est le second opus d'une BD historique sur Angoulême.
Les deux albums sont édités par un nouvel éditeur d'Angoulême : "Le troisième homme". A suivre.

Voilà. En une courte intro, j'ai placé 5 fois Angoulême. Pas mal, non ?!

Mais tout ça n'a rien à voir avec mon sujet du jour, ce n'était qu'un petit paragraphe d'autosatisfaction. Non, mon sujet du jour, c'est un sujet plutôt brûlant dans le petit monde de la BD :

LES COLORISTES !!!

Je n'aborderai ici que la partie rémunération des coloristes... Il faudrait quelques autres articles pour parler des essais, des tarifs généralement pratiqués, du temps de travail par planche, etc, etc, etc... Ça viendra peut-être plus tard !

Les coloristes sont-ils des auteurs ?

La couleur fait évidemment partie intégrante d'une œuvre d'art. Pour s'en convaincre, regardons un "petit" Van Gogh :
La chambre de Van Gogh à Arles
Si la couleur n'avait pas fait partie de l’œuvre, alors Vincent aurait fait quelque chose qui ressemblerait à ça :

En gros, du dessin. C'est bien, mais c'est autre chose...

En bande dessinée, on a le choix : on peut faire des albums en noir et blanc, il y en a plein, romans graphiques, mangas, strips, ou des albums en couleurs. Poser la couleur est une vraie création. Les coloristes ne font pas de la peinture au numéro. Ce sont évidemment des artistes.
Si, en bande dessinée on peut considérer l'encrage et le lettrage comme des métiers purement techniques (quoi que...), ça parait totalement incongru et impossible avec la couleur, et ce quel que soit le style de l'album.

Quand on fait un album avec des couleurs, on a donc trois métiers d'auteurs : le scénariste, le dessinateur et le coloriste. C'est 3 métiers peuvent être exercés par une seule personne ou par deux, ou par trois. La suite de mon article partira du cas où il y a trois auteurs, histoire de simplifier la démonstration.

3 métiers, 3 auteurs...

Très bien. C'est réglé. 3 métiers, 3 auteurs donc. 
Ces trois personnes devraient donc être toutes payées en droit d'auteurs à ÉGALITÉ. Le principe d'égalité doit être indissociable du droit d'auteur car qui peut dire ce qui fait la "qualité" (et le succès) de l’œuvre ? Le scénario, le dessin, la couleur ? C'est un ensemble qui ne peut pas être dissocié. Astérix aurait peut-être été un échec total si les braies d'Obélix avaient été vertes...

Ainsi donc, dans un monde idéal, si l'éditeur verse, par exemple, 12% du prix HT de la BD en droits d'auteurs, cela devrait faire 4% pour chacun. C'est clair et égalitaire. 
Les avances sur droits peuvent être différentes pour chacun, par contre, puisque les temps de travail sont différents selon les compétences et les métiers, mais au final chaque auteur touchera la même chose sur les ventes de l'album. 

Certains objecteront que le dessinateur doit toucher plus que le coloriste qui doit lui même toucher plus que le scénariste. Je suis d'accord avec ça, mais la différence ne doit pas se faire au niveau des droits. Ce qui doit faire la différence, c'est un paiement au forfait (sans incidence sur les droits) d'une part de travail technique qui inclut recherches, documentation, essais, matériel, frais, etc.
Cette part n'est quasiment jamais versée et les auteurs ne disent rien car ils ont l'impression que l'avance sur droits la couvre. C'est faux, l'avance sur droits se remboursant sur les ventes de l'album. 
Dans le système actuel, les auteurs payent la part de risque de l'éditeur (si l'album ne se vend pas) en lui offrant les coûts techniques de fabrication de l’œuvre. Mais ça, c'est une autre histoire...

Comment sont payés les coloristes ?

Il existe deux grandes formes de rémunération des coloristes :
                              cas 1 - paiement en fixe, au forfait, sans droits 
                              cas 2 - paiement aux droits d'auteurs

 cas 1 - Quand le coloriste n'a pas droit au succès...

Le coloriste touche une somme forfaitaire et il ne touchera rien de plus, quelles que soient les ventes de l'album. Il signe donc, de fait, par contrat, un abandon de droits.  En général, le contrat indique alors "mise en couleurs BD au forfait" ou "règlement au forfait". Il semble que la plupart du temps le contrat ne stipule même pas qu'il s'agit de mise en couleurs...

Dans ce cas, le coloriste est bien rémunéré en droits d'auteurs, l'Agessa reconnait d'ailleurs cette forme de revenus comme du droit d'auteur.
Mais l'abandon de droits doit être assujetti à une durée et/ou à un tirage. Il semble que ce n'est jamais le cas car alors l'éditeur serait obligé de rémunérer à nouveau le coloriste lors d'un nouveau tirage par exemple...

Ainsi, avec ce mode de paiement, un coloriste payé 100 € la planche pour un 46 planches touchera 4.600 € bruts pour un album. Si l'album se vend à 10.000 exemplaires, il aura touché 0,46 € par album. A 30.000 exemplaires, 0,15 €, à 50.000, 0,09 €...

A moins qu'en cas de gros succès l'éditeur ne renégocie le contrat avec le coloriste (ça doit arriver, j'espère), pas de droit au succès, effectivement.

cas 2 - Quand scénariste et dessinateur payent la couleur...                             

Le coloriste touche une avance sur droits. Lorsqu'il l'a remboursée sur les ventes, il touche des droits. C'est le système classique de rémunération des auteurs.

Mais le coloriste n'est pas un auteur comme les autres : c'est un sous-auteur. La plupart du temps sa part de droits ne sera que de 10% du total des droits !!! Soit 0,8 à 1,5% du prix de vente hors taxe ! Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'y a pas de respect de l'égalité des droits d'auteurs...

En reprenant l'exemple du paragraphe précédent du coloriste qui a touché 4.600 €, si l'album est vendu 15 € TTC, le coloriste aura remboursé son avance sur droits après environ 32.000 ventes. Il touchera ensuite 0,14 € bruts par album vendu.
C'est un peu mieux que dans le premier cas, mais ça n'est pas beaucoup !

Mais le vrai scandale est ailleurs : le scandale, c'est que ce petit 1% versé au coloriste est le plus souvent prélevé sur la part de droits des autres auteurs. Ils abandonnent par exemple chacun 0,5%, qui sont versés au coloriste.

Dans ce cas, l'éditeur ne paye donc pas le coloriste. Le scénariste et le dessinateur s'en chargent. Un scandale, je vous dis.

Quelles solutions ?

On l'a bien compris, le coloriste  est le travailleur le plus pauvre, le plus précaire du monde de la BD (et ce n'est pas peu dire !).

Il y aurait pourtant des solutions simples pour que ça change !
- payer aux auteurs une part technique du travail, telle que je l'ai décrite au début de cet article.
- payer des droits égalitaires aux auteurs, respectant ainsi l'esprit de la loi française sur les droits d'auteurs.

Chacun des trois auteurs, dans ce système, toucherait donc un forfait technique, une avance sur droit selon le temps de travail, puis, une fois l'avance remboursée, un tiers des droits négociés ensemble, en toute transparence.

Alors, bien sûr, cela coûterait plus cher aux éditeurs. Beaucoup plus cher, même, puisque dans le système actuel, la plupart du temps, le coloriste ne leur coûte rien !

Bien sûr, ça leur demanderait de vendre leurs albums, de les défendre, de les promouvoir. Ça leur demanderait de payer honnêtement les auteurs et de rémunérer leurs frais techniques. Ça leur demanderait de respecter l'esprit de la loi. Ça leur demanderait de considérer un peu les auteurs.

Bien sûr...
Mais n'est-ce pas justement ça, le métier d'éditeur ???

samedi 30 août 2014

Le CNL et les auteurs

Le CNL, vous savez ce que c'est ?
Hé bien, car même si vous avez répondu "oui" à la question une piqûre de rappel n'est jamais superflue, le CNL c'est un :
Établissement public du Ministère de la Culture et de la Communication, le Centre national du livre a pour mission de soutenir, grâce à différents dispositifs et commissions, tous les acteurs de la chaîne du livre : auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, organisateurs de manifestations littéraires. Il participe ainsi activement au rayonnement et à la création francophone.

 voir la suite de la présentation du CNL ici
Alors ce CNL, il soutient qui, et comment ?
Un petit décryptage du "Bilan des aides 2013" (215 pages, quand même !) devrait nous éclairer un peu là-dessus et va surtout nous montrer quelle est la place de chacun dans cette fameuse "Chaîne du livre" ! 

Attention ! Dans cet article, pas question de prendre position, de monter les secteurs les uns contre les autres, de pointer tel ou tel ! Juste un constat qui permettra d'avancer un peu plus loin dans notre réflexion sur la place de l'auteur (et des autres acteurs) dans l'économie du livre.

Le CNL aide la chaîne du livre

Le CNL distribue des aides, des bourses et des subventions aux différents acteurs de la chaîne du livre. Et pas qu'un peu : quasiment 38.000.000 € en 2013 pour 2.701 aides.
Je ne prendrai pas en compte les prêts et avances, ni l'assistance culturelle. Les pourcentages sont donc calculés sur une dotation totale de 37.000.000 € (36.867.388 € exactement).
 
Détaillons un peu.

 Les libraires

3 types d'aides sont versés aux librairies indépendantes. Il faut y ajouter les aides versés à deux fonds d'aides qui s'occupent de la répartition des fonds du "plan librairie".

- 23 librairies indépendantes et 104 librairies françaises à l'étranger ont été aidées pour la création, l'animation, le numérique, l'achat, l'équipement.
- 249 aides ont été versées à des librairies indépendantes pour la mise en valeur du fond et la création de catalogue.
- Le "Plan librairie" aide à la transmission et à la reprise de librairies indépendantes, et à la trésorerie.

Les librairies peuvent également recevoir des prêts et des avances, mais nous n'incluons pas ce type d'aides dans cette étude.
 
- Les libraires touchent 10.636.260 € (dont 9 millions pour le plan librairie) soit environ 28,5 % de la dotation.

Les bibliothèques

Le CNL verse aux bibliothèques une aide pour l'achat de livres, mais aussi aux régions une aide aux bibliothèques que les collectivités locales gèrent, répartissent et versent elles-mêmes.

- 173 aides ont été versées à des bibliothèques pour l'achat de livres.
Ces aides aboutissent mécaniquement quasi intégralement dans les caisses des libraires et auraient donc pu être comptées dans le paragraphe précédent. Mais elles sont versées aux bibliothèques, donc...
Tous les types de bibliothèques sont intéressés par ces aides : départementales, municipales, d'hôpitaux, de prisons, etc.
- les subventions allouées aux régions concernent les autres secteurs du budget des bibliothèques, hors achats de livres.

Les bibliothèques touchent 2.410.622 € soit environ 6,5 % de la dotation.

Les manifestations littéraires

Le CNL verse aux organisateurs de festivals, salons, rencontres littéraires des aides à l'organisation.

- 109 manifestations ont été aidées.
- 35 évènements organisés dans le cadre du "Printemps des Poètes" ont été aidés.

Les aides "Printemps des poètes" sont versés à des structures organisatrices d'évènements locaux. La subvention pour l'organisation "Printemps des poètes" au niveau national est comptabilisée dans la section "Structures partenaires".

Les manifestations littéraires touchent 2.120.100 € soit environ 6 % de la dotation.

Les sociétés d'amis d'écrivains

Le CNL verse des subventions de fonctionnement à des sociétés d'amis d'écrivains.

- 58 aides ont été versées.

 Les sociétés d'amis d'écrivains touchent 130.000 € soit environ 0,4 % de la dotation.

Les "structures partenaires"

Le CNL verse des subventions à des "structures partenaires". Elles sont diverses. On y trouve par exemple la SGDL, le BIEF, les librairies de Rhone Alpes, l'alliance internationale des éditeurs indépendants, la maison de la poésie, la maison des écrivains, le syndicat de la librairie française, l'association des traducteurs littéraires de France, le printemps des poètes... 
En tout 26 structures dont vous pouvez consulter la liste pages 199 et 200 du rapport (187-188 du pdf).

- 26 aides ont été versées aux "structures partenaires".

Les "structures partenaires" touchent 5.156.000 € soit environ 14 % de la dotation.

Les éditeurs de revues littéraires

Deux types d'aides pour les éditeurs de revues, souvent de toutes petites structures. J'y ajoute une aide qui entre dans le cadre de la politique numérique.

- 183 aides aux revues ont été versées.
- 20 aides à la numérisation de revues ont été versées.
- 1 convention dans le cadre de la politique numérique a été versée.

Les éditeurs de revues touchent 1.537.780 € soit environ 4 % de la dotation. 

Politique numérique

Sous ce titre sont regroupées de très nombreuses aides. 
La plupart est distribué à des éditeurs ou a des éditeurs de revues pour la numérisation d'ouvrages ou sous forme de conventions. Je les place dans la rubrique "éditeurs" ou "éditeurs de revue". 
D'autres sont attribuées au secteur non-marchand, elles sont détaillées ci-dessous ainsi que celles attribuées à des plate-formes de distribution numérique.

La subvention BNF (bibliothèque nationale de France) est répartie entre 4 postes : Gallica, Relire, SPAR et la numérisation patrimoniale. 
Les conventions non-commerciales sont versées à des organismes très divers : le CNC, l'école polytechnique, l'agence régionale du livre PACA, le forum d'Avignon, Paris librairies, le laboratoire Paris région innovation, le centre de promotion du livre jeunesse...

- dotation de la BNF  pour un montant de 6.000.000 €.
- 7 conventions versées dans le secteur non-marchand.
- 4 conventions  versées à des plate-formes de distribution.
 
Pour la politique numérique (hors édition), sont versés 6.555.864 € soit environ 18 % de la dotation.

Les éditeurs

Les éditeurs touchent des aides pour différents domaines de leurs compétences. Ces aides ne sont pas réservées aux éditeurs français des éditeurs étrangers peuvent les toucher, en particulier les suisses, les belges et les canadiens.

- 575 aides à la publication ont été versées à des petits éditeurs et le plus souvent pour des ouvrages difficiles..
- 10 aides  à l'iconographie, au multimédia, à la préparation à l'édition ont été versées, généralement à des petits éditeurs pour des livres compliqués à réaliser en terme de documentation et/ou d'iconographie.
- 563 aides à la traduction ont été versées aussi bien aux éditeurs pour des traductions du français vers une langue étrangère que d'une langue étrangère vers le français. De très nombreuses œuvres ont bénéficié de cette aide, en général de très gros éditeurs.
- 14 conventions de la politique numérique ont été signées, en général avec de gros éditeurs.
- 51 aides dépendant de la politique numérique ont été versées, en général aux gros éditeurs qui numérisent leur fond.

Les éditeurs peuvent également recevoir des prêts et des avances, mais nous n'incluons pas ce type d'aides dans cette étude.

Les éditeurs touchent 5.959.262 € soit environ 16 % de la dotation.  

Les traducteurs

Des aides sont versées aux traducteurs sous forme de bourses et de résidences. La grande majorité de ces aides est à destination des traducteurs étrangers.
Il y a très peu d'aides versées aux traducteurs eux-même. La plupart des aides à la traduction, qui sont très nombreuses, sont versées directement à l'éditeur.

- 97 aides aux traducteurs étrangers ont été verses.
- 8 bourses de résidences pour les traducteurs ont été versées.
- 11 aides aux traducteurs français ont été versées.

Les traducteurs touchent 367.500 € soit environ 1 % de la dotation.

Les auteurs

Les auteurs touchent 3 types d'aides. Les bourses de création, les résidences et les bourses de préparation.

- 207 bourses de création pour un montant ont été versées.
- 19 bourses de  résidences ont été versées.
- 8 bourses de préparation ont été versées.

 Les auteurs touchent 1.994.000 € soit environ 5,5 % de la dotation.

Récapitulons !

Librairies : 28,5 %
numérique non-commercial : 18 %
édition : 16 %
structures partenaires : 14 %
bibliothèques : 6,5 %
manifestations littéraires : 6 %
auteurs : 5,5 %
revues : 4 %
traducteurs : 1 %
sociétés d'amis d'écrivains : 0,4 %

Pour tenter de conclure

On pourrait donc conclure que, pour le CNL, l'auteur ne pèse que 5,5 % dans la chaîne du livre, bien loin derrière les librairies, l'édition et les fameuses "structures partenaires". Derrière même les bibliothèques et les manifestations littéraires...

Mais en fait, pas trop de conclusions à en tirer, de tous ces chiffres : les affectations de ces aides créent un mouvement d'argent entre les différents acteurs de la chaine du livre et il est bien difficile de savoir qui, finalement, reçoit quoi.
De plus, je n'ai parlé ici que des aides versées par le CNL. Bien d'autres structures et collectivités versent des aides et des subventions aux acteurs de la chaîne du livre.
Ce qui est étonnant, c'est le faible pourcentage versé directement aux destinataires. 
Ainsi, quand un éditeur touche une aide à la traduction, combien revient au traducteur ?
Sur une aide à la publication, combien revient à l'auteur ?
Sur une aide à la manifestation littéraire, combien revient aux auteurs ?

Impossible à savoir... On sait bien que multiplier les intermédiaires n'est jamais bon pour la transparence !

Et puis d'autres questions se bousculent :
Combien d'éditeurs baissent les avances sur droits parce que l'auteur a obtenu une bourse de création ? 
Combien de manifestations littéraires ayant reçu une aide rémunèrent les auteurs pour les dédicaces ?
etc. etc.

Bien trop de questions auxquelles nous ne sommes pas près de pouvoir répondre !!!

Au fait, et la BD dans tout ça ?

Rappelons d'abord que les BD représentent environ 7% des sorties, 6% des ventes et 7 % du chiffre d'affaire du secteur livre en 2013.
 
Les éditeurs
- 42 publications aidées  (sur 575 - 7%).
- de très nombreux éditeurs BD aidés pour la numérisation de très nombreux titres ( par exemple : Le Lombard aidé pour 896 titres, Dupuis pour 1440, Dargaud pour 130).
- peu de titres aidés pour la traduction.

Les éditeurs de revues 
- 1 éditeur de revue aidé pour la numérisation (sur 21 - 5%).
- 5 aides à la revue (sur 183 - 3%).

 Les festivals
- 5 festivals spécifiquement BD aidés (sur 109 - 5%).

Les traducteurs
- 1 bourse de traduction versée (sur 11 - 9%).

Les auteurs
- 50 bourses de création versées (sur 207 - 24%).
-  3 bourses de résidences versées (sur 19 - 16%).
- 0 bourse de préparation (sur 8 - ben... 0%).